le contrôle judiciaire du prix peut être exercé sur le fondement de la sanction des avantages sans contrepartie et pas seulement sur celui de la sanction de la soumission ou tentative de soumission à un déséquilibre significatif
La Cour de cassation juge que le contrôle judiciaire du prix peut être exercé sur le fondement de la sanction des avantages sans contrepartie et pas seulement sur celui de la sanction de la soumission ou tentative de soumission à un déséquilibre significatif
1.-
Par un important arrêt du 11 janvier 2023 (pourvoi n° 21-11.163), la chambre commerciale de la Cour de cassation a pris position sur le fondement juridique du contrôle judiciaire du prix, dans le cadre de la législation antérieure à l’ordonnance du 24 avril 2019.
Dans cette affaire, une société de construction de maisons individuelles avait imposé à ses sous-traitants, dans les contrats et factures qu’elle rédigeait elle-même, une remise de 2 % sur leurs tarifs, justifiant cette pratique auprès de ses partenaires par la circonstance qu’elle serait compensée par le bénéfice du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Lors de l’enquête de la Direccte, il est apparu également que la société appliquait un escompte de 3 % sans pour autant régler toujours régler les factures en avance.
La DGCCRF avait alors fait assigner devant le tribunal de commerce de Bordeaux la société de construction de maison individuelle pour voir dire que ces pratiques caractérisaient des avantages sans contrepartie, tels que définis par l’ancien L. 442-6 I 1° du code de commerce (aujourd’hui L. 442-I 1° CCom), rembourser les sommes indues versées par les sous-traitants et payer une amende de 200 000 euros, outre la publication de la condamnation.
La CEPC (avis 18-6 du 7 juin 2018), qui avait été saisie par le tribunal, a été d’avis que les pratiques poursuivies constituaient des avantages sans contrepartie prohibés et qu’elles créaient également un déséquilibre significatif entre les partiez pouvant être sanctionné si la preuve était rapportée de l’existence d’une soumission ou tentative de soumission du partenaire commercial à ces pratiques.
Par jugement du 18 janvier 2019, le tribunal a accueilli les demandes du ministre, sauf à limiter l’amende à un montant de 50 000 euros.
Par arrêt du 4 novembre 2020, la cour d’appel de Paris a jugé que les relations contractuelles en cause étaient bien soumises à la règlementation des pratiques restrictives de concurrence, mais elle a débouté le ministre de l’économie de ses demandes, jugeant que la remise de 2 % ne pourrait être sanctionnée que sur le fondement de l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce, le contrôle judiciaire du prix ne pouvant être réalisé que dans les conditions prévues par ce texte. Sur l’escompte, elle a jugé que l’avantage sans contrepartie n’était pas établi.
2.-
Le ministre de l’économie a formé un pourvoi qui a donné lieu à l’arrêt du 11 janvier 2023.
On soulignera rapidement que :
- Le juge de cassation approuve la cour d’appel d’avoir considéré que les pratiques contestées étaient soumises aux dispositions règlementant les pratiques restrictives de concurrence malgré l’existence de dispositions protectrices des sous-traitants auxquelles étaient soumis les contrats litigieux.
- Sur l’escompte, la Cour casse l’arrêt en reprochant aux juges d’appel d’avoir insuffisamment analysé les preuves apportées par le ministre pour établir qu’il avait été parfois appliqué sans contrepartie. La cour de renvoi devra réexaminer les documents produits.
3.-
Mais là ne réside pas l’intérêt principal de cette décision.
C’est en ce qu’il se prononce sur le fondement juridique de la poursuite de la pratique relative à la remise qu’il fera date : la Cour de cassation admet que le contrôle judiciaire du prix puisse se faire tant sur le 1° que sur le 2° de l’article L. 442-6 I (actuels L 442-1) du Code de commerce.
Contrairement à ce qu’a jugé la cour d’appel de Paris et à ce qu’une partie de la doctrine soutient ces dernières années, la Cour de cassation considère que la remise pouvait caractériser un « avantage » au sens de l’article L. 442-6 I 1° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 24 avril 2019 et, donc, être sanctionné s’il est sans contrepartie.
Elle juge expressément que l’avantage visé au 1° de ce texte peut consister en un avantage « quelconque », c’est-à-dire également un avantage financier se traduisant sur le prix, et non seulement, comme il était allégué, être relatif à un service de coopération commerciale.
La Cour de cassation considère ainsi que le contrôle judiciaire du prix ne s’effectue pas uniquement dans les conditions posées par le 2° de ce texte, et qu’il serait ainsi nécessairement soumis aux preuves exigeantes d’une soumission ou tentative de soumission du partenaire commercial et de l’existence d’un déséquilibre significatif.
La Haute Juridiction rejette par là-même l’analyse de la cour d’appel qui avait justifié sa décision en renvoyant à la décision du Conseil Constitutionnel n° 2018-749 et à son arrêt précédent du 25 janvier 2017 (pourvoi n° 15-23.547).
Ces précédents n’avaient en effet aucune portée sur l’interprétation de la notion d’avantage sans contrepartie, puisque L. 442-6 I 1° n’y était absolument pas envisagé et qu’ils ne portaient que sur le 2°. Ils ne permettaient donc pas d’exclure que le contrôle judiciaire puisse se faire sur le fondement de l’une comme de l’autre de ces dispositions.
Le contrôle judiciaire du prix existait dès avant l’ordonnance du 1er décembre 1986, par la sanction de l’abus, sans être enserré dans des conditions restrictives et exceptionnelles comme l’a retenu la cour d’appel.
Aucun texte, depuis, et pas plus dans la version applicable au litige de l’article L. 442-6 I 1° du code de commerce, ne permettait de limiter sa portée pour restreindre le contrôle judiciaire du prix aux seules hypothèses de déséquilibre significatif.
4.-
La solution posée par cet arrêt du 11 janvier 2023 reste valable pour les situations soumises à l’article L. 442-1 I du code de commerce dans sa version actuellement en vigueur.
Un avantage sans contrepartie se traduisant sur le prix pratiqué entre les contractants pourra donc être sanctionné sur le fondement du 1° de ce texte sans qu'il soit nécessaire d'établir une soumission ou tentative de soumission à un déséquilibre significatif.